Be the hunter rather than the prey || RP libre

Voilà plus d’un mois qu’elle avait donné la vie à Arion. Plus d’un mois que son époux refusait même de poser le regard sur cet enfant qu’elle avait porté en son sein, qu’il refusait de le reconnaître comme étant le sien. Avec juste raison, mais la douleur n’en restait pas moins cuisante. C’était une chose d’avoir la bénédiction de celui à qui l’on s’est uni sous la nitescence lunaire pour visiter les draps d’autres hommes, c’en était une autre de tomber amoureuse de son amant et de lui concevoir un fils. Au fil des ans, Nimrë en était venue à ressentir de véritables sentiments pour celui qu’elle avait épousé. Contre toute attente, elle avait lentement oublié ceux qu’elle avait longtemps considérés comme sa famille pour voir Khord comme son unique famille, la seule personne qui mérite vraiment sa confiance et sa loyauté. Pourtant, les choses étaient loin d’être roses entre eux. Khord était un homme impulsif. Son épouse était d’autant plus féroce. Ils se voyaient peu, l’homme passant davantage de temps en mer ou dispersé aux quatre vents que sous le toit de sa somptueuse villa du Quartiers des Arts. Mais lorsqu’il y était, une remarque suffisait pour qu’une dispute éclate, et la blonde bourgeoise n’y allait pas de main molle lorsque venait le temps de lever les poings sur la jolie gueule de son mari. Pourtant, les choses étaient différentes depuis l’apparition d’Arion… Son marin d’époux avait deviné son état avant même que l’idée ne l’effleure. Il n’avait plus levé la main sur elle, n’avait plus réagi à ses réflexions parfois acerbes, ne le regardait plus dans les yeux. Si autrefois leurs joutes verbales se terminaient entre les draps de leur lit, dans la sueur et la passion, il n’avait plus touché la peau d’albâtre de celle qu’il avait considérée comme une partenaire, comme la seule femme vers qui il pourrait toujours revenir. Nimrë n’était pas aveugle. Elle craignait les idées qui pourraient s’emparer de Khord face au bambin. Elle le protégerait au prix de sa vie. Malgré ses regrets, malgré son amour étiolé pour le navigateur, l’enfant qui avait grandi en elle était devenu la seule ombre de famille qui persiste dans son cœur.

La fille du nord avait reçu un pli de la part de son époux plusieurs jours auparavant. À sa demande, elle avait pris la route vers une petite baie au creux de laquelle se tenait un village aux abords de la mer du nord, sous le couvert des épines de la Forêt Nébuleuse. Bien que le climat de Severnysa soit plus clément que celui de sa terre d’origine, le Cycle des Pluies n’était pas une période idéale pour voyager. Bien que la neige immaculée se mette rapidement à fondre, les pluies devenaient abondantes et l’eau produite par la fonte des neiges dans les Montagnes de Solmorgen faisait sortir la rivière Stenelv de son lit. Habituellement, la bourgeoise aurait probablement payé un passeur pour l’amener à bon port en naviguant sur les flots de la rivière, mais ça n’était guère un choix sage à cette époque de l’année. Aussi, dès qu’elle avait reçu le bout de parchemin scellé de cire bleu nuit à l’emblème que son époux avait choisi pour les Nazhair, Nimrë avait demandé que son guérisseur l’examine rapidement avant de confier son fils aux domestiques de la maison de son amant et de prendre la route vers le nord du pays, juchée sur le dos de son cheval à la robe de grisaille.

Sous la large capuche de sa cape, elle avait tressé sa chevelure d’or retenue d’épingles sans artifices et enfilé les habits les plus sobres qu’elle possédait. Une robe de velours noir à peine brodée de fil d’argent dont le col serti de guipure sombre peinait à dissimuler les formes généreuses qui persistaient suite à sa grossesse. Suivie de deux hommes payés par son époux, ils s’étaient enfoncés dans les terres froides, sous le gris du ciel et les gouttes glacées pleurées par les dieux qui lavaient la lande en prévision de la saison chaude. Ils avaient fait campement dans une petite clairière avant la tombée de la nuit et s’étaient abrités du mieux qu’ils le pouvaient de la fureur des éléments.

Maintenant que les premières lueurs de l’aube perçaient les nuages cendrés, Nimrë s’étaient aventurée un peu plus loin dans l’espoir de trouver un ruisseau où elle pourrait se rafraîchir à l’abri du regard de ses deux compagnons de voyage. Elle avait fini par trouver un petit cours d’eau dont la surface était gelée derrière des bosquets sous le couvert des arbres. Empoignant une branche, elle s’accroupit près de la glace et en fracassa la surface pour y tremper les doigts avec appréhension. Elle eut le souffle coupé face à la température glaciale qui entra en contact avec ses phalanges, mais mit ses mains en coupe pour s’abreuver de l’onde cristalline avant de s’en frotter un peu sur les joues.

Une voix perça le silence matinal, faisant bondir son cœur brusquement dans sa poitrine serrée dans son corset. Instinctivement, elle leva les deux mains dans les airs avant de se redresser avec lenteur. « Je… je ne suis pas armée ! »  déclara-t-elle d’une voix peu assurée. Mensonge, de toute évidence. Elle cachait toujours une petite lame bien acérée dans sa botte, sous ses jupes ou dans son corsage. Une femme ne voyageait pas seule sans pouvoir se défendre un minimum… « Je vais me retourner, maintenant. » Inspirant une bonne bouffée d’air par ses narines, la bourgeoise repoussa doucement l’ourlet de la capuche qui protégeait sa chevelure dorée des gouttes qui s’échouaient toujours des épines odorantes des conifères. L’odeur de la résine la ramenait à son enfance, à l’époque où elle accompagnait son père sur les chantiers des bâtiments qu’il érigeait. À travers l’odeur humide et rance de la mixture dont le patriarche des Kjolf se servait pour assembler les pierres de ses édifices, Nimrë percevait plutôt l’odeur si particulière et réconfortante qu’avait le bois de pin et de sapin qui formait la structure. Un effluve à la fois âcre et sucré, boisé, chaud et enveloppant…

Dans le semi-pénombre à travers laquelle des rais de clarté peinaient à percer, le regard d’eau de mer de la bourgeoise détailla les traits à la fois durs et avenants d’une autre femme. Son regard noir comme la nuit impénétrable et dur comme celui d’une louve, sa peau basanée, ses lèvres minces et sa chevelure en bataille faisaient d’elle une assaillante difficile à jauger. Allait-elle passer à l’attaque ou resterait-elle à une distance suffisamment respectable ?