De sang et d'argent ɤ la plèbe d'Ealdor

Voilà quelques nuits que les murmures circulaient dans les Quartiers de la basse-ville. Des murmures qui s’éteignaient subitement lorsque l’uniforme caractéristique aux Gardiens d’Ealdor faisaient leur apparition au détour d’une allée… Arne s’intéressait rarement à ces commérages. La plupart du temps, les hommes parlaient de la nouvelle beauté qui était apparue dans les Bas-Fonds ou des petites nouvelles – bonnes ou mauvaises – qui circulaient parmi la populace. Le fait était que le batelier n’avait cure des affaires des autres. Seules sa bourse et les affaires de la Lame avaient de l’intérêt à ses yeux. Quand il avait compris que les badauds parlaient d’un événement qui se déroulerait dans les souterrains de la Vieille Ville, les catacombes hautement fréquentées par ses semblables qui aimaient les ombres lorsque venait le temps de se déplacer discrètement dans la ville, il avait tendu l’oreille avec davantage d’attention.

Ce genre de rassemblement populaire n’était guère apprécié par les Gardiens et ceux qui gouvernaient la cité. Peut-être craignaient-ils de voir les gens de la basse société s’allier pour fomenter des complots quelconques. Les combats clandestins étaient d’autant plus illégaux parce qu’ils comportaient très peu de règles, et que la violence gratuite allait contre la loi ealdorienne.

Arne n’assistait jamais à ces événements. D’une part parce qu’il s’efforçait toujours de se faire discret. D’autre part parce qu’il ne pouvait certainement pas y participer étant donné sa mobilité hautement restreinte. Et finalement, parce que ces nuits clandestines se déroulaient trop souvent dans des lieux où il avait du mal à se rendre avec ses béquilles. Cette fois-ci pourtant, l’estropié vit une occasion en or de repérer de nouvelles recrues pour la Lame. Les carnages qui se déroulaient dans la pénombre nocturne avaient habituellement une seule règle : l’utilisation de la magie élémentaire était interdite. Ça n’empêchait pas certains téméraires d’utiliser discrètement leurs dons pour faire tanguer le destin en leur faveur, mais la plupart des participants demeuraient des impurs. Des non-maîtres qui devaient comme lui se battre pour gagner leur pain chaque jour et qui arrondissaient leurs fins de mois en tapant sur la gueule d’inconnus pour nourrir leur famille ou simplement dans l’espoir d’un jour se sortir de la misère. Ces hommes et ces femmes-là faisaient de très bons prospects pour la Confrérie, mais aussi pour la Lame et on avait appris à Arne à se lier d’amitié à eux dans l’espoir de les voir joindre les ombres un jour…

Aussi, le jeune homme avait empoigné ses béquilles et s’était enfoncé dans les entrailles d’Ealdor pour se retrouver dans l’immense galerie où s’amassaient les curieux. À la lueur des torches, l’estropié observait les visages qui passaient près de lui sans mot dire, demeurant près de la paroi rocheuse qui conservait une fraîcheur malgré la chaleur qui s’épaississait.