À contre-courant ⇀ avec Aslog

La nuit avait enveloppé la cité de ses bras à la froideur pénétrante. Le bleu profond de son ciel était paré d’une colonne étrangement plus violette et parsemé de diamants plus étincelants les uns que les autres. Arne se délectait du calme qui régnait sur Ealdor et sur la rivière à cette heure. Rien à voir avec le fourmillement constant des habitants et la clameur qui régnait dès que le soleil osait se pointer à l’horizon. Ce soir, seul un mince croissant de Lune ornait le firmament. Dans deux jours, l’astre que vénéraient les uetriens disparaîtrait complètement pour laisser place à la nuit la plus noire, celle où s’en irait le Cycle des Moissons pour laisser place au Cycle des Couleurs. La saison froide approchait inexorablement et, avec elle, la période trop calme de l’année pour le batelier qui ne pouvait plus aller sur les eaux gelées pour gagner son pain. Heureusement pour lui, le forgeron Lund lui permettait de travailler le fer et le métal dans sa forge pour subsister.

Arne n’aimait pas se fier sur autrui pour gagner sa vie, mais il considérait le maître de l’air comme un de ses rares amis et se confortait dans l’idée que les affaires bougeaient vite pour celui qui avait été son mentor à cette époque de l’année. La température féroce de la saison morte causait souvent bien des dommages aux roues des chariots qu’utilisaient les commerçants pour transporter leurs marchandises, les nombreuses célébrations qui s’enchaînaient était l’occasion idéale pour s’offrir des présents, les grandes Maisons d’Ealdor faisaient le plein de fers pour rechausser les chevaux toute l’année durant et les nobles semblaient avoir plus de temps pour imaginer des commandes plus farfelues les unes que les autres. Et même s’il n’oserait l’avouer clairement, même s’il perdait cette quiétude qu’il ne retrouvait que lorsqu’il prenait le large, le batelier voyait revenir l’hiver comme un réconfort à l’idée de passer plus de temps avec son ami, mais aussi auprès de la famille Lund, qui l’avait chéri davantage que ceux qui partageaient son sang, et ce, malgré toutes ses tares.

Le jeune homme soupira de contentement en scrutant les étoiles qui piquaient l’encre de la voie lactée. Un sourire en coin effleura ses lèvres carmin à l’idée qu’il était peut-être parvenu à semer Feyre pour un fois. Depuis qu’il l’avait repêchée dans la Baie Vötnum quelques semaines auparavant, la sauvant d’une mort certaine bercée dans les bras de la grande eau, la gamine le suivait comme son ombre. Il avait bien tenté de la décourager, mais où qu’il aille, il l’apercevait du coin de l’œil. Elle n’était jamais bien loin de sa maison. Elle surveillait le retour de sa barque sur les docks en après-midi ou en soirée. Elle lorgnait les venelles où il s’enfonçait pour trouver un peu de chaleur dans les bordels. Où qu’il aille, la petite antaki allait. S’il avait trouvé cet entêtement à lui rendre la pareille un peu adorable les premiers jours, sa sollicitude s’était vite envolée quand il avait réalisé qu’il n’avait plus de vie privée. Cette gosse n’avait aucun scrupule à lui passer des remarques taquines dès qu’elle le voyait en compagnie d’une autre femme, où lorsqu’il levait un peu trop le coude attablé dans une taverne… Mais ce soir, elle ne semblait pas surgir des ombres.

Il allait s’endormir bercé par la cadence des vagues lorsqu’une masse s’échoua brusquement dans la barque à ses pieds, faisant tanguer le vaisseau dangereusement. Instinctivement, il se redressa en saisissant les rames pour éviter qu’elles ne s’enfoncent dans les eaux de la Stenelv et s’exclama : « Mais qu’est-ce que─ ? » Une main se plaqua avec véhémence sur sa bouche, lui coupant la parole et le souffle.